« I would like you to see me » d’Arianna Sanesi, cris d’alerte contre les féminicides en Italie
- Club Photo SciencesPo Aix
- 11 févr. 2019
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 févr. 2019
Au cours des dix dernières années en Italie, 1740 femmes ont été assassinées, 1251 d’entre elles à l’intérieur du foyer familial, 846 par leur compagnon, et 224 par leur ex-compagnons. L’iconographie liée aux violences conjugales, comme les images des campagnes de prévention, tendent à banaliser ces actes, à les rendre « presque ordinaires » selon Arianna Sanesi, photographe italienne. Les images sont toujours les mêmes : une femme avec des ecchymoses ou qui se protège d’un coup avec le revers de la main. Pour lutter contre ça, la photographe désire montrer la réalité de ces crimes dans sa série « J’aimerais que vous puissiez me voir » (I would like you to see me) mêlant art et récit photographique.
En 2015 Arianna Sanesi, avec l’aide de la journaliste Alessandra Gavazzi, décide de représenter les féminicides italiens en capturant l’après disparition de ces femmes. « J’aimerais que vous puissiez me voir » est un projet qui regroupe des photos-reportages prisent au sein de famille de victime, des photos de graffitis avec des phrases d’amour trouvés dans les rues, des natures mortes représentant des objets symboliques dans l’histoire de chacune de ces femmes et enfin des photos d’immeubles de nuit, allégorie d’une société italienne encore trop patriarcale aux yeux de la jeune photographe.

Par ses clichés, Arianna Sanesi veut raconter les histoires de ces meurtres qualifiés à tort de « passionnels ». Une photo de simples gobelets en plastique conte en réalité le destin tragique de Rosa, étranglée par son mari. Avant que le drame ne parvienne, Rosa expliquait à sa patronne que chez elle, il n’y a plus que de la vaisselle en plastique parce que son mari casse tout dans ses excès de colère.

Ariana Sanesi dénonce les féminicides mais aussi la passivité totale qui règne en Italie face à ce fléau. Selon elle, cette apathie de la société italienne s’explique par son caractère encore trop conservateur et patriarcal. Elle explique que les maris ont toujours trop de contrôle sur leurs épouses et qu’il est mal vu en Italie d’être une femme célibataire, sans enfants et que c’est encore pire si vous êtes divorcées. Elle décrit alors les féminicides comme « l’aboutissement d’un processus » et non pas une « folie passagère ». Avec ses photos nocturnes d’immeubles à l’atmosphère lugubre, Ariana Sanesi veut montrer qu’on ne sait pas ce qu’il se passe derrière ces fenêtres, au sein de ces foyers, et que les violences faites aux femmes se font très souvent au sein de l’environnement proche.

La photographe explique qu’elle a l’impression que les proches des victimes ignorent les signes avant-coureurs des féminicides. La photographie d’un casque audio raconte que la fille d’une des victimes le mettait constamment pour échapper aux cris lors des disputes à répétition de ses parents. Ariana Sanesi se demande comment cette adolescente n’a pas pu entendre les hurlements de sa mère quand son père la battait à mort à l’étage.
La dernière composante du projet d’Ariana Sanesi, et peut être la plus délicate à mettre en oeuvre, était de rencontrer les familles et les proches des victimes pour témoigner de la vie après la disparition de leurs filles, mères, amies… Si des familles ont refusé, certaines ont tout de même ouvert leurs portes à la photographe, parfois dans un souci de mémoire, parfois pour alerter sur ce phénomène silencieux en Italie. Une mère a gardé la brosse à cheveux de sa fille dans un sac plastique parce qu’il restait de ses cheveux dessus. Une autre mère, dont la défunte fille s’appelait Vanessa (« papillon » en italien), a déposé des papillons un peu partout chez elle.

Si les campagnes italiennes de prévention contre les violences faites aux femmes n’arrivent pas à mobiliser la population, peut-être que « J’aimerais que vous puissiez me voir » arrivera enfin à alerter les foules.
Pour en voir plus sur le travail d’Arianna Sanesi : http://www.ariannasanesi.com/recent-projects/i-would-like-you-to-see-me/
Pour voir d’autres photographes engagées contre les violences faites aux femmes : l’exposition « 3 jours et 1 femme » à la Galerie l’Aberrante à Montpellier https://www.la-wtf.com/article/3-jours-et-1-femme-l-expo-glacante-qui-denonce-les-feminicides_907.html
Quitterie Scipioni-Guenancia
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